Tranche de vie : Saly Sadio ou les stigmates de l’excision

Les cicatrices ne se refermeront jamais. Saly Sadio marche à l’aide des béquilles. La jeune fille est devenue handicapée après avoir subi une excision alors qu’elle n’avait que 3 ans. Sa maman a fait le tour des guérisseurs pour que sa fille retrouve la mobilité. Mais rien n’est fait. Elle subira trois interventions chirurgicales sans effets escomptés. Victime des railleries à l’école, elle jette l’éponge en classe de CM 2. La couture reste la rampe pour surmonter son handicap. Saly Sadio se bat pour l’éradication de cette pratique. Elle se bat aussi pour gagner dignement sa vie.   

Elle n’a pas encore transcendé le trauma. Ce n’est pas facile pour beaucoup de jeunes filles d’y revenir après l’excision. L’ablation d’une partie de leur corps pèse à la fois comme une séquelle physique et psychologique. L’histoire de Saly  Sadio est celle de beaucoup de jeunes qui au nom de la conservation des us et coutumes est victime de l’excision. Au sud-est et au sud du Sénégal, la tradition fait le poids devant la loi interdissant  les mutilations génitales féminines (MGF) à travers l’article 299 bis introduit en janvier 1999, dans le Code pénal de 1965 (Article 299 bis). La pratique persiste au grand dam des jeunes  filles.

Saly Sadio orpheline de père, elle a été blessée dans son intimité et sa dignité. Le temps n’efface pas les douleurs endurées depuis l’adolescence, disons plutôt l’enfance. « Le simple souvenir me fait baver », raconte-t-elle.

Dans son atelier sis dans un quartier, Saly Sadio, entourée de jeunes filles est trahie par le timbre de sa voix lorsqu’elle brosse cette épreuve. Sa voix tremble. La victime de l’excision déploie une aile protectrice au-dessus des jeunes filles. Saly  se bat pour l’éradication de cette pratique. Elle invite les parents à en mesurer les conséquences. « Mon histoire suffit à décourager ceux et celles qui pratiquent encore l’excision. C’est d’ailleurs pour cette raison que je ne me lasse pas de la raconter », soutient-elle. L’excision est une lame de fond. Elle détruit la santé sexuelle de la femme.

Excisée à l’âge de trois ans

Saly a été excisée alors qu’elle avait trois ans. Elle aurait dû tout oublier. Méprise. Tout est encore précis dans sa tête y compris les remontrances de sa grand-mère qui la taxait d’une fille paresseuse. Pourtant après  l’ablation, Saly ne pouvait ni les écarter, ni les déplier.

Le temps est passé. La ‘’cicatrice’’ ne s’est pas refermée. «  J’étais infirme. Il fallait ainsi faire quelque chose », se souvient-elle. Sa maman fait le tour des  guérisseurs avec elle pour la soigner. C’est peine perdue.  Elle sera davantage marquée par cette peine, le jour où tout le village avait fui lors d’une attaque par des assaillants. Saly, du fait de sa mobilité réduite, ne pouvait pas suivre le mouvement.  « Des suites d’un  conflit dans son village, tout le monde a fui  la laissant seule du fait de son handicap contracté suite à la mutilation génitale féminine », a raconté le directeur du Centre de conseil Ados de Kolda.

Stigmatisée jusque dans sa propre famille

Avec les limites de la médecine traditionnelle, la jeune fille quitte le village pour la ville. C’est ainsi qu’elle s’établit en ville avec l’aide de son oncle. Elle aura la chance d’être prise en charge par Handicap-International. Un espoir renaît. Saly connaîtra plusieurs opérations chirurgicales. Trois au total, mais sans résultats notoires. « Je faisais des massages, des séances de rééducation. Mais j’ai fini avec deux béquilles ». Elle tentera ainsi l’école. Mais les critiques et moqueries de ses camarades et autres membres de son quartier l’ont poussée à abandonner les bancs.

La couture, une rampe contre le handicap

A l’école, elle n’a été soutenue pour surmonter son handicap. Les paroles utilisées l’ont contraint à jeter l’éponge en classe de CM2. «  On me demandait de rester chez-moi parce que je n’étais pas comme les autres », raconte Saly. Elle finit par rester à la maison abandonnant ainsi l’école en classe de CM2.

Après l’abandon, on la conseille d’aller subir une formation au Centre Ados de Kolda. Ici, par contre, elle ne se laissera pas marcher sur les pieds. Elle supporte les moqueries, durant trois ans de formation au centre  professionnel de Kolda. Les frais de scolarité seront pris en charge  par Affaires mondiales Canada dans le cadre d’un projet piloté par le Fonds des Nations Unies pour la population.  Même à ce stade, ses parents n’ont pas cru qu’elle pouvait réussir. «  Mon oncle n’avait pas les moyens pour prendre en charge les frais de transports. Il me demandait de rester à la maison. J’avais même des difficultés pour me payer les tissus pour les devoirs en coupe couture », raconte-t-elle.  Cette page est tournée. Elle et ses camarades tentent de voler par leurs propres ailes au sein du groupement d’intérêt économique (GIE) dénommé « Saly Sadio et Cie. Par la force des choses, elle est devenue la couturière de ses amies qui la stigmatisent. Une belle revanche sur ces dernières.  Mais rien n’est gagné. La vie est un combat continu. «  Nous avons des difficultés pour payer le loyer de l’atelier. C’est pendant les grands événements que nous avons beaucoup de clients. Je voudrais avoir mon propre local, c’est ce qui pourrait m’épargner de certaines dépenses  », se confie-t-elle. La couture est donc pour elle, une rampe contre le handicap.