Des vacances pour notre corps : cessons de vouloir nous « aimer comme nous sommes » !

L’été s’annonce rayonnant sur les plages françaises : de nouveau, le littoral métropolitain est la destination de vacances estivales privilégiée pour 62 % des Européens, et représente près de 140 millions de nuitées, selon le ministère de l’Économie et des Finances*.

Ce sont donc des millions de corps qui, entre slips de bain et trikinis, se côtoient, s’évaluent ou s’ignorent. À l’heure où le « body positive » nous incite à être à l’aise avec notre corps et d’en accepter ses creux, bourrelets, cicatrices, vergetures, déformations et brûlures, ce mouvement initialement émancipateur… Ne nous contraint-il pas à une nouvelle injonction, celle de nous « aimer comme nous sommes » ?
 
Le message du « body positive »

Être bien dans son corps, accueillir ses formes ou son absence de formes, c’est le message du mouvement « body positive ». À la fin de la décennie 1990, Connie Sobczak et Elizabeth Scott fondent, à la mort de la sœur de l’une d’elles de troubles du comportement alimentaire, l’organisation The Body Positive. Leur plaidoyer est simple : s’accepter telle que l’on est, lutter contre les diktats de l’apparence, et faire entendre la voix des personnes qui n’affichent pas un corps conforme à la norme.

Progressivement, le body positive se propage, grâce aux blogs – plateformes très populaires au début des années 2000 -, puis avec l’envol des médias sociaux. Instagram, le réseau où l’image est reine, participe, ces dernières années, à amplifier largement le message : des influenceuses s’emparent du mouvement, exposent leurs corps et leurs aspérités, et nous enjoignent à nous « aimer comme nous sommes ». Le hashtag #bodypositive est, à ce jour, l’un des plus populaires du réseau : il regroupe 13 millions d’occurrences en 2020.
 
Les limites

Pourtant, malgré la bienveillance du mouvement, rapidement, les limites se font jour. Dans son ouvrage Chairissons-nous (Favre, 2019), la linguiste Stéphanie Pahud dénonce l’absurdité du body positivisme : accepter son « vrai » corps reviendrait à imposer des nouveaux standards de « beauté à bourrelets et à vergetures ». Le mouvement engendrerait de nouvelles normes pour se faire accepter et « valider » par autrui, quand le combat devrait plutôt se porter sur la déconstruction des normes, pour s’en libérer.

 À l’heure où le « body positive » nous incite à être à l’aise avec notre corps, ne nous contraint-il pas à une nouvelle injonction, celle de nous « aimer comme nous sommes » ?

En réponse aux nouveaux diktats charriés par l’ambiguïté du mouvement body positivism, un courant prône une version plus nuancée du concept : le « body neutrality ». Le terme circule depuis un article du New York Magazine en 2017. Marisa Meltzer, journaliste, y suit un programme sur la neutralité des corps : l’objectif, offrir un intermédiaire entre la détestation de son corps et l’injonction à l’aimer à tout prix. « C’est un drapeau blanc au croisement entre la détestation et l’amour de soi », explique la journaliste. Pour les partisans du body neutrality, le body positivism n’est qu’un nouvel impératif : vouloir se distancer à tout prix des diktats de la beauté, vouloir aimer sans concession ses bourrelets, ses vergetures ou son acné, n’est qu’une autre forme de contrainte.
 
« Body neutrality »

Taylor Swift, Jameela Jamil… Des figures majeures de la culture populaire, qui revendiquaient leur appartenance au body positivism, préfèrent désormais employer le terme de body neutrality : « J’essaie de répandre le body neutrality où je peux, et ne pas penser à quoi ressemble mon corps », explique Jameela Jamil, créatrice du mouvement @i_weigh sur Instagram.

Selon les préceptes du body neutrality, mieux vaut se concentrer naturellement sur ce qui nous fait du bien, pas sur notre apparence. Ici, pas de pression ni obsession : le body neutrality incite femmes et hommes à apprécier leurs corps pour ses capacités – produire, soulever, supporter, accoucher… -, et non pas pour l’apparence. Le body neutrality ne demande pas de chérir son corps, mais clame simplement qu’il est temps de se ménager, faire une pause, et ne même plus penser à « accepter » quoique ce soit de son enveloppe corporelle, pour être en paix avec elle.

S’accorder des vacances, en somme.