À rebrousse-poil : Non, le Sénégal n’est pas une grande démocratie (Par Adama NDIAYE)

À rebrousse-poil : Non, le Sénégal n’est pas une grande démocratie (Par Adama NDIAYE)

Les Sénégalais aiment à se voir plus beaux qu’ils ne sont. On dirait que Dieu a créé l’humanité égale, tout en dotant le Sénégalais d’une étoffe particulière qui le distingue du commun des mortels. L’homo senegalensis est une race particulière. Il suffit de voir certaines réactions quand un crime inouï se produit sous nos latitudes pour prendre la mesure du phénomène : les gens oscillent entre l’incrédulité et la stupéfaction à l’idée qu’un de leurs concitoyens ait pu faire preuve d’autant de cruauté. Certains en viennent à lever les mains vers le ciel en se demandant, très sérieusement, pour expliquer l’inexplicable, si ce n’était pas un signe annonciateur de la fin des temps.

Cette forme de narcissisme national  se manifeste aussi dans le champ politique où l’on aime à croire que l’on est à la pointe de la démocratie, de la civilisation et de la liberté. Ainsi, l’on a pu entendre après les critiques de députés français contre les dérives autocratiques du Président, Macky Sall, la vice-présidente de l’Assemblée nationale, Mme Awa Gueye, déclarer sue Dakaractu que le “Sénégal est un grand pays de la Téranga, de l’hospitalité, de la démocratie”. Poursuivant, elle estime que “le Sénégal reste une exception démocratique de la sous région africaine”. Concédons à la parlementaire, qu’en termes de liberté, mieux vaut vivre à Dakar qu’à Conakry, Ouaga, Bamako, ou Bissau.Pour tempérer son ardeur, rappelons-lui, toutefois,  qu’au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.

Mais le plus important, il me semble c’est d’en finir avec la culture du déni. Charles Péguy, écrivain français, par  ailleurs journaliste, qui fut à ses débuts un socialiste sincère avant de basculer dans le nationalisme à l’orée de la Première guerre mondiale, nous invitait, dans l’exercice de notre métier, à “toujours dire ce que l’on voit”, et surtout “ce qui est plus difficile, écrivait-il, à voir ce que l’on voit”.

Que voyons-nous, depuis quelques semaines ? Des interdictions en série de manifestations publiques prononcées par des autorités administratives. Des menaces à peine déguisées contre les médias à ne pas relayer certaines sorties politiques.

Qu’avons-nous vu le 17 juin dernier ? Des domiciles d’opposants assiégés de bonne heure par les forces de l’ordre.  Des sièges de parti cernés. Des députés et maires molestés et emprisonnés pendant plusieurs jours pour avoir voulu se rendre à une manifestation, certes interdite. De tels procédés ne se déroulent pas dans une démocratie tout court, sans parler de “grande démocratie”.

Ce qui rend notre situation encore plus tragique, c’est que ceux-là même qui dénoncent les atteintes à la démocratie, l’opposition, notamment l’aile incarnée par Pastef, ne donnent des signes rassurants. Leur leader, Ousmane Sonko, par exemple, ne cesse de formuler des critiques contre les médias, sachant pertinemment qu’en le faisant il pose des cibles sur le dos des journalistes. Des confrères de GFM ont été victimes, en mars 2021, et tout récemment de cette vindicte.

Sur les réseaux sociaux sa maréchaussée militante, en constante patrouille, mène une forme de terrorisme intellectuel sur des organes qu’elle accuse de faire le jeu du pouvoir. Pastef semble fonctionner comme une secte où toute critique, toute réserve contre le chef est vécue comme une forfaiture et une offense impardonnable.

Nous voilà, ainsi, pris en tenaille entre un pouvoir qui multiplie les abus et une partie de l’opposition, si persuadée de sa “légitimité transcendantale » (Philippe Muray), qu’elle ne souffre pas la moindre critique.

Nous vivons, en définitive, dans une “démocratie” sans beaucoup de démocrates.